Hors d’œuvre #3

Claes Oldenburg, Floor Cake, 1962
Toile remplie de mousse et de boîtes en carton, peinture polymère synthétique et latex,148,2×290,2×148,2 cm, New-York, MOMA.

Hors d’œuvre c’est notre rubrique qui analyse comment l’art représente les pratiques alimentaires à travers le temps et les cultures. Chaque mois mois on décortique une oeuvre dont le sujet fait écho à un enjeu de l’alimentation durable ou à nos pratiques alimentaires contemporaines.

FLOOR CAKE – CLAES OLDENBURG

Molle, dégoulinante, surmontée d’un semblant d’effort de décoration, cette représentation d’un gâteau écoeure. Après les photos de Martin Parr qui montrent la nourriture sans artifices ni mises en scènes, voici la nourriture populaire telle que la montre Claes Oldenburg. Il veut exhiber la banalité du quotidien même si elle n’est pas appétissante : «Je suis pour un art dont la forme vienne de la vie elle-même. Un art fait de vrilles, de bifurcations et de superpositions, un art qui crache, qui dégouline, qui est aussi balourd, grossier, brutal, doux et bête que la vie elle-même.»

Claes Oldenburg est né en 1929 à Stockholm mais a grandi aux Etats-Unis où il vit toujours aujourd’hui. Cette sculpture représentant une part de gâteau a été créée par l’artiste en 1962 pour une exposition à la Green Gallery à New York.

Contexte : les 1960’s
Les années 1960 sont marquées aux Etats-Unis par l’essor de la société de consommation dont vont grandement s’inspirer les artistes du Pop Art, mouvement qui émerge à ce moment et auquel appartient Oldenburg. Dans son travail, l’artiste dépeint cette société en détournant des objets banals issus de la culture populaire. Il représente des objets du quotidien auxquels nous sommes tellement habitués que nous ne les regardons plus : interrupteur, toilette, ventilateur, téléphone. Au-delà d’objets domestiques, un sujet récurrent dans son travail est la nourriture: gâteau, glace, frites, burger… il reproduit des archétypes de la nourriture américaine populaire. Il a d’ailleurs créé un burger et une glace ayant les mêmes codes esthétiques que Floor Cake (Floor Burger et Floor Cone).

👁Décryptage
1,48m x 2,9m x 1,48m. C’est la taille de cette part de gâteau faite de toile, de mousse, de carton, de latex et de peinture. L’artiste joue sur le changement d’échelle et d’aspect pour détourner cette nourriture en symbole populaire.

Le gigantisme de la sculpture évoque l’abondance de nourriture liée à la consommation de masse. C’est une thématique récurrente dans le milieu artistique de l’époque. Elle résonne par exemple aussi dans l’oeuvre de Duane Hanson, Supermarket Lady (1969). Stéréotype de la femme au foyer, pouvoir de la publicité et du marketing sur le consommateur, surconsommation, tous les sujets sont rassemblés dans cette sculpture réaliste grandeur nature.

En plus de la taille démesurée de Floor Cake, la texture molle ridiculise la représentation du gâteau et apporte une touche d’humour visant à tourner en dérision la surconsommation, notamment dictée par le règne du marketing qui pousse toujours plus à l’achat. Posée à même le sol pour engager de la proximité avec les spectateurs, la sculpture semble être sur le point de se dégonfler et s’étaler à leurs pieds pour les engloutir… et on pourrait voir là une métaphore de la société de consommation absorbant l’individualité. 

L’aspect peu appétissant et grossier de l’oeuvre va jusqu’à dénaturer la nourriture représentée et lui faire perdre tout son sens (un peu comme lorsqu’on répète tellement de fois un même mot qu’il finit par ne plus vouloir rien dire). C’est la force des oeuvres d’Oldenburd, elles imposent une place à la banalité tout en la dénaturant. On peut  alors voir ce qu’on veut dans cette oeuvre. C’est ce qui est immuable dans l’art et qui permet à la fois de s’échapper du quotidien et de faire face à son individualité : chacun se l’approprie à sa façon.

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