Design en barre #5

Pour ce dernier épisode de notre série design en barre (#tristesse), on embarque vers le futur de l’alimentation ! On déchausse nos lunettes de critiques, ce mois-ci on dit « mais oui ! pourquoi pas ? » à deux projets innovants qui vous feront oublier tout ce que vous savez sur… les pâtes et les saucisses ! On vous fait redécouvrir ces deux symboles de notre alimentation, travaillés non plus comme de simples aliments mais comme des objets : utilité, esthétique, durée de vie, mode de production, tous ces paramètres sont pris en compte !

The sausage of the future – Carolien Niebling – 2017

Pour la designer hollandaise, la saucisse est un des premiers aliments a avoir été « designé » : sa composition et sa structure sont pensées (contrairement à un steak). Présente dans de nombreuses cultures culinaires sous des formes et des textures différentes, elle a comme avantages d’utiliser les bas morceaux de viande et de pouvoir se garder longtemps (on pense à la saucisse sèche par exemple). Historiquement, elle a donc été l’aliment parfait des longs voyages.

En revisitant cet archétype de la nourriture qu’est la saucisse, Carolien Niebling veut proposer une solution à la nécessité de réduire notre consommation de viande. Elle prône une transition alimentaire douce, créative et gustative. Après trois ans passés à travailler avec un maître boucher et un chef spécialisé en gastronomie moléculaire sur ces saucisses du futur, une vingtaine de modèles de nouvelles saucisses sont nés. Leurs recettes sont regroupées dans un livre dont l’esthétique pop met en scène ces aliments comme des objets.

La composition de chaque saucisse est étudiée pour offrir une texture et une saveur appétissante ainsi que des ingrédients choisis pour leurs intérêts nutritionnels et écologiques. Voici un petit aperçu de la composition d’une tranche de la mortadelle du futur : viande de porc, brocoli, carotte, gras de porc, eau, pistaches. En mixant les ingrédients originaux présents dans la mortadelle avec des légumes, cette nouvelle version contient 20% de moins de viande que la recette classique. Parmi tous les modèles de saucisses que la designer a mis au point, on retrouve aussi un fake-salami 100% végétarien (mûres, myrtilles et framboises fraiches, fruits séchés, farine de noisette et d’amande) ou encore un pâté à base d’insectes (jus de carotte, farine de noix de pécan, farine de vers de farine, câpres, piment, épices). Ce panel de nouvelles saucisses explore donc diverses sources de protéines (animaux dont insectes, oléagineux, légumineuses) et donne une place plus importante aux fruits et légumes. 

Ce qui est intéressant dans l’approche de la designer est la volonté de ne pas s’éloigner des codes esthétiques et culturels des recettes de saucisses qui l’ont inspiré. Elle aurait pu au contraire s’en démarquer et proposer une version de cet aliment qui ne ressemble plus du tout à ce qu’on connait, jouer la carte du futurisme. Mais ne pas les avoir dénaturé est la force de sa proposition car l’aliment reste identifiable et participe alors à instaurer une meilleure acceptation du projet par le public. En effet, d’un point de vue culturel, l’adoption d’une alimentation durable est plus facile si les nouvelles habitudes alimentaires ne s’éloignent pas trop de celles actuelles.

Depuis la publication de son travail, plusieurs bouchers dans le monde se sont emparés de ces saucisses du futur et les proposent à la vente. De son côté, Carolien Niebling a remporté plusieurs prix dont le Grand Prix Design Parade de Hyères en 2017.

Transformative Appetite – MIT Tangible Media Group (2017)

Des pâtes qui changent de forme une fois plongées dans l’eau ? C’est le projet développé par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Alors qu’on pensait que la « pasta » ne pouvait plus être réinventée, voilà qu’on nous propose de la faire passer de la 2D à la 3D en un coup d’eau. L’intérêt majeur de ce projet ? Le packaging. Imaginez un paquet classique de macaronis. La forme en trois dimensions de l’aliment fait perdre de l’espace de stockage (pour ce style de pâte, environ 67% du volume d’un paquet est en fait de l’air, selon les calculs des chercheurs). Alors que si le même aliment était plat, on pourrait en mettre une plus grande quantité dans un même paquet. Ainsi, le volume de matériau nécessaire au packaging est réduit, tout comme les coûts d’expédition.

Seulement, bien que la pertinence de la proposition du « flat-packaging » soit réelle d’un point de vue écologique et économique, ce serait tout de même assez triste de ne manger que de la nourriture plate. Les tagliatelles c’est sympa, mais les fusillis aussi !

C’est là que la démarche de design intervient. Comment concilier cette possibilité de réduire les emballages avec le plaisir de manger des aliments aux formes variées ? Les chercheurs du MIT ont travaillé directement sur la composition alimentaire pour élaborer ce nouveau produit. C’est grâce à un mélange de gélatine (aucune précision si il s’agit de gélatine végétale ou animale) et d’amidon que la transformation de la deux à la troisième dimension est possible, car la gélatine se dilate naturellement lorsqu’elle entre en contact avec l’eau. Les formes que peut prendre cet aliment une fois trempé dans l’eau ne sont pas laissées au hasard. Elles ont été élaborées grâce à des logiciels de modélisation 3D, des tests de résistance, d’élasticité, etc. Pour créer différents modèles de pâtes, la forme à plat et la densité sont travaillées puis des bandes de cellulose comestibles sont ajoutées afin de contraindre la matière. On peut ainsi constater une vingtaine de déclinaisons de formes créées par ce procédé, mais les possibilités sont bien plus nombreuses !

Après avoir été conçu dans un laboratoire de recherche, direction les cuisines où un chef a imaginé les possibilités culinaires de cet aliment en l’intégrant dans des recettes. Comme les pâtes que nous connaissons tous, c’est un aliment au goût plutôt neutre qui se marrie avec des saveurs variées : poulpe, champignon, tomate, céleri sont quelques aliments qu’on retrouve dans les plats créés spécialement par le chef. 

On espère simplement que cette prouesse ne se fait pas au détriment des qualités nutritionnelles et gustatives du produit. Ce procédé est innovant et offre de nouveaux horizons pour l’industrie agroalimentaire et la créativité culinaire, mais au vu de la complexification d’un aliment à la base si simple (composé de farine et d’eau ), on est curieux de voir si cette technologie a un réel avenir !

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